Le Japon est un des producteurs de divertissements parmi les plus prolifiques du monde, que ce soit en matière de bandes-dessinées, de dessins-animés ou encore de jeux vidéos.
Ces créations ont été victimes de la communautarisation du net au fil des ans.
Les éditeurs japonais de ces trois secteurs se sont laissés dépasser par l’accroissement des pratiques illégales et des contrefaçons en ligne.
Mais dernièrement, le Japon a mené un combat acharné pour reconquérir ses droits de propriété intellectuelle, bafoués notamment par les scan-trad – scans de bandes-dessinées illégalement traduits et proposés sur Internet par des amateurs – ou encore les linkers – cartouches vides pour consoles de jeux permettant de jouer à des jeux piratés sur le net.
Les mangas ou l’école du scan-trad
Après la Seconde Guerre Mondiale, les mangas (bandes-dessinées japonaises) se multiplient et de nombreux auteurs emboîtent le pas d’Osamu Tezuka, considéré comme le père du manga moderne, en suivant les codes graphiques qu’il a lui-même mis au point.
La production gagne en ampleur, et le Japon devient le premier producteur mondial de bandes-dessinées.
Si les mangas sont d’abord destinés au public japonais, l’Europe et plus particulièrement la France, s’intéresse à ces créations dans les années 1990.
Le marché français explose.
Mais malgré la parution de 150 nouvelles références par mois, l’hexagone ne peut engloutir toute la production nippone.
Or les aficionados sont voraces et en demandent toujours plus.
A tel point que non contents de n’avoir à disposition qu’une infime partie de la production japonaise, de nombreux amateurs se reconvertissent en traducteurs du dimanche pour proposer avant toute sortie française, des œuvres inédites sur internet : on appelle ces opuscules des scan-trad.
On peut se questionner sur la prolifération d’une telle pratique et l’absence d’actions de la part des éditeurs japonais.
Le copyright japonais
En France comme au Japon, le droit d’auteur est légalement reconnu.
En France, il est codifié à l’article L.111-1 du Code de la Propriété intellectuelle, article qui protège l’auteur d’une œuvre de l’esprit du seul fait de sa création.
Au Japon, c’est une loi de 1971 qui reconnaît un droit moral et un droit patrimonial à un auteur sur son œuvre.
Quelques différences toutefois entre les deux législations : le droit de divulgation reconnu en France est aménagé au Japon, de telle sorte que la divulgation peut être contrée si l’œuvre est jugée trop obscène.
Le droit d’auteur au Japon opère donc une évaluation du contenu d’une œuvre pour éventuellement priver l’auteur de son droit de divulgation, ce qui n’est pas le cas chez nous.
L’intégrité de l’œuvre peut également être atteinte dans le droit japonais si les modifications apportées à l’œuvre sont jugées nécessaires et poursuivent un but d’enseignement ou de réparation d’erreurs commises par l’auteur.
Enfin, le droit d’auteur japonais dans sa conception patrimoniale a été largement influencé par le droit anglo-saxon.
On parle donc de « copyright » et l’on reconnaît à une personne morale qui a initié la création, les droits sur l’œuvre au détriment de l’auteur personne physique.
Une différence majeure qui contribue certainement à expliquer le fleurissement du scan-trad en Europe et dans le reste du monde.
Des intérêts économiques méconnus
Dans les années 1990, les premiers mangas sont édités en France.
Les éditeurs français qui rencontrent leurs confrères japonais se heurtent à une incompréhension majeure.
Pour les japonais, l’intérêt du public européen pour les bandes-dessinées ou dessins-animés nippons demeure totalement incompréhensible. Il s’agit pour eux d’œuvres très ancrées dans leur culture et qui n’ont pas vocation à s’exporter.
Les droits sont négociés pour des bouchées de pain et les japonais n’ont alors nullement conscience de l’explosion économique qui les attend.
L’engouement est tel que la France devient le deuxième pays le plus consommateur de mangas après le Japon.
Mais les dérives des amateurs, et la rapidité de circulation des fichiers sur le Net devancent les éditeurs japonais qui, pour faire face aux scan-trads sont contraints de mener des actions judiciaires internationales.
Une dépense qui ne leur semble pas utile au départ alors même que certains auteurs commencent à s’émouvoir de cette diffusion contrefaisante.
Pour sauvegarder leur marché, les éditeurs français dialoguent avec les équipes de scan-trad afin de trouver un consensus.
Tant que les droits d’une série ne sont pas cédés pour la France, les scan-trad sont tolérés. Dès lors que les droits sont cédés, les amateurs sont priés de stopper leur diffusion.
Un maigre compromis qui conduit les amateurs à penser que leur activité se trouve dans un terrain de non droit.
Il n’en est rien. Le droit d’auteur a toujours interdit la reproduction et la représentation d’œuvres de l’esprit sans l’autorisation de l’auteur. Mais faute d’action en contrefaçon, il n’en a été fait aucune application.
Le marché du manga à l’international a grandi et les Japonais ont des intérêts bien plus grands désormais.
Il y a quelques mois, le site Onemanga.com fermait ses portes suite à l’action d’éditeurs japonais qui ne peuvent plus tolérer la perte subie par la diffusion illégale de mangas scannés sur internet.
Et d’autres secteurs tendent à agir dans le même sens.
La reconquête des droits d’auteur s’étend aux jeux-vidéos
Dans le monde du jeu vidéo, Nintendo tente depuis de longs mois de faire valoir ses droits.
L’objectif : contrer la vente illégale de « linkers » sur le territoire français.
Mais qu’est-ce qu’un linker ? Il s’agit d’une cartouche de jeu vide sur laquelle peuvent être chargés depuis le net, des jeux vidéos piratés, et qui se charge de les exécuter sur une console de jeux.
Comme ce fut le cas avec le Peer-to-peer, les diffuseurs de linkers se dédouanaient de toute responsabilité car ils ne proposaient aucun jeu piraté dans leurs cartouches vides, mais en permettaient seulement l’utilisation.
Il n’en reste pas moins que le procédé était éminemment contestable au regard du droit d’auteur et que la firme du plombier ne s’en est pas laissé conter.
Par une décision du 26 septembre 2011, la Cour d’Appel de Paris s’est fermement opposée à l’importation, la vente, et la distribution pas une société des dispositifs de copiage de jeux vidéo, communément appelés linkers.
Dans cette action, toute la difficulté de Nintendo résidait dans le fait qu’en tant que fabricant de consoles, il n’a pas nécessairement de droit à agir contre des diffuseurs de copies de jeux-vidéos dont il n’est pas éditeur.
Car il faut rappeler que les fabricants de linkers ne vendent pas leurs produits déjà munis de copies illégales de jeux.
Ce ne sont que des outils qui en permettent l’exécution sur une console. Ils ne sont pas directement contrefacteurs.
Et pourtant Nintendo gagne cette bataille juridique après plusieurs années de lutte, grâce à un élément décisif.
Pour qu’une copie illégale de jeu soit exécutée sur la console, il faut que le linker qui contient ce fichier piraté initialise la console et en effectue le lancement.
Si la Cour dans son analyse ne reconnaît pas à Nintendo de droits d’auteur sur ce procédé logiciel permettant l’initialisation de la machine et du jeu, un élément a fait pencher la balance.
Le fameux logiciel d’initialisation de la console conduit notamment à l’affichage du logo Nintendo, indispensable à sa bonne exécution.
Pour faire fonctionner un linker, son fabricant a donc dû récupérer le logiciel d’initialisation de Nintendo sans le modifier ou l’altérer, et nécessairement conduire à la reproduction et à la représentation sans autorisation du logo de la société japonaise.
Une bataille juridique intéressante qui a porté ses fruits, et réaffirme la volonté des japonais de devenir ou de redevenir maîtres de leurs droits.